POURQUOI SE SENT-ON COUPABLE LORSQUE L’ON EST UN AIDANT ?

soutien affectif fin de vie

Lorsque l’on devient un aidant, c’est un peu le ciel qui nous tombe sur la tête et les questions se multiplient plus vite que les réponses. De plus, on passe en mode super vigilance en permanence et notre bien-être personnel passe directement à la trappe. On met littéralement nos émotions aux orties.

Du coup, on veut tellement bien faire, voir parfaire, dès qu’il se passe un événement imprévu ou ne serait-ce qu’une petite envie de penser à soi, c’est le drame et on culpabilise.

On s’empêche de vivre. Il n’y a malheureusement pas de mode d’emploi lorsqu’on accompagne une personne vivant avec des troubles neurocognitifs évolutifs ou en perte d’autonomie, mais finalement pourquoi se sent-on aussi coupable ? Comment sortir du cercle vicieux de la culpabilité ?

I – QUELLES SONT LES DIFFÉRENTES CAUSES DE CULPABILITÉ ?

 

 

DÉFINITION

La culpabilité est un ressenti émotionnel qui apparait lorsque l’on se juge soi-même responsable d’une entorse à nos propres valeurs. C’est un mélange de honte, de tristesse, de mépris et de colère, où le regard de l’autre et le regard qu’on porte sur soi jouent pour beaucoup.

Pour le dire autrement, la culpabilité est souvent un conflit entre plusieurs parts en vous. Par exemple : une part de vous, qui a besoin de repos et une part de vous, qui veut tout donner pour aider l’autre le mieux possible.

On se sent coupable, car les différentes situations nous mettent face à nos limites et face à des contraintes extérieures fortes dans lesquelles nous perdons le contrôle.

 

LES DIFFÉRENTES CAUSES POSSIBLES À LA CULPABILITÉ DE L’AIDANT

 

Être aidant c’est un combat quotidien, car entre la vie qui est chamboulée, l’envie de bien faire, et s’imaginer en tant que superhéro responsable de son aîné, la charge mentale et physique en profite pour s’insinuer progressivement.

En ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé que la charge mentale venait de manière sournoise. J’avais juste décidé de l’ignorer. J’étais dans un leitmotiv : c’est mes parents, j’ai besoin de personne et de toute façon personne ne m’aidera. Ils ne savent pas ce que je vis. Sacré bêtise, n’est-ce pas ?

De plus, souvenez-vous de ce que vos parents ou les adultes vous disaient quand vous étiez petit :

– Un homme ne doit pas pleurer

– Ne te mets pas en colère ce n’est pas joli pour une femme

– Montrer ses émotions, c’est montrer de la faiblesse

– Si tu pleures tu feras de la peine à…

– Dans la vie, il faut être courageux…

Pour peu que vous entendiez souvent ces phrases, votre cerveau s’est programmé pour penser et agir de cette manière. Voilà pourquoi c’est si difficile de reconnaître qu’on est que des êtres humains.

Et j’ai mis du temps à me rendre compte que je ne pouvais pas éviter les couacs (j’ai commencé mon aidance à 16 ans jusqu’à la mort de mes deux parents à 37 ans, et la culpabilité m’a submergé de nombreuses années.

La culpabilité d’être fatigué

Prendre soin d’une personne en perte d’autonomie ou atteinte d’une maladie neurodégénérative est un travail en soi et lorsque l’on doit passer son bac, car on est la seule personne à faire des études, la pression est double.

Du coup, j’avoue n’avais été qu’aux partiels et aux bacs blancs, les professeurs pensaient même qu’en tant qu’ « enfant des cités » j’avais préféré le chemin du deal et autres moyens de facilités selon leurs dires.

Je me sentais coupable d’être fatiguée de tenir ce rôle de parent-infirmier-soignant-fille et j’en passe en h24. Du coup, je pleurais dans les toilettes où la nuit en me disant que je n’avais aucun droit d’être faible.

Je ne comprenais pas qu’il fallait que j’accepte mes émotions que j’étais un être humain comme tout le monde et que ce que je faisais déjà pour eux était admirable.

 La culpabilité de ne pas être à la hauteur

À l’époque, j’avais une soif immense de tout contrôler. Je m’étais mise moi-même dans des attentes personnelles impossibles à atteindre à savoir : être aussi parfaite qu’un professionnel de santé.

Et pour cela, j’avais mon calepin et je posais des questions aux professionnels de passage. Sans succès. J’ai même eu une fois le droit à : pousse-toi de là, tu me déranges. Va traîner dehors.

Bref, comment se sentir à la hauteur dans ce type de situation.

Je me souviens aussi que je voulais être parfaite, parce que je ne voulais pas qu’on juge mes parents que cela soit sur ce qui leur arrivait ou moi et un « problème d’éducation »

On peut se sentir coupable de ne pas être un aussi bon soutien que ce qu’on voudrait, ou de devoir se faire aider par d’autres. C’est vrai, c’est douloureux de prendre conscience de nos limites. L’amour peut décupler nos forces, oui, mais jusqu’à un certain point. Si l’on cherche à dépasser ce point, on risque de craquer.

Parfois, suite au diagnostic de la maladie d’un proche, on peut inconsciemment se fixer comme objectif de le sauver, de contribuer activement à sa guérison par tous les soins qu’on lui apportera. De la même manière, lorsque les chances de guérisons s’amenuisent, on se sent coupable de n’avoir pas atteint cet objectif.

L’aidant parfait imaginé par la société n’existe pas, et le fait qu’on se sent coupable de n’être pas capable de faire mieux, cela prouve déjà qu’on est un bon aidant. Un aidant aimant son proche ne peut que bien faire.

La culpabilité de s’être énervé.

 

Je ne vous raconte même pas le nombre de fois que je me suis mise la rate au court-bouillon à cause des nerfs qui lâchent, et de nombreux aidants que j’accompagne au quotidien vivent la même chose.

Ce n’est pas évident d’être zen en permanence et accompagner un proche atteint de troubles neurocognitifs, c’est un peu comme lorsque l’on s’énerve sur un enfant en bas âge, dans les deux cas, ils ne comprennent pas ce qui nous a mis en boule. Du coup, cela leur fait peur et cela les stresse inutilement et on culpabilise encore plus en se disant que cela ne doit plus arriver.

Il faut faire attention au nombre de fois que l’on s’énerve contre un proche, car si cela revient trop souvent, c’est peut-être un début de burn-out de l’aidant et cela peut être dangereux pour votre proche mais aussi pour vous. Ce n’est pas parce que vous vous êtes énervé que vous êtes un bourreau.

La culpabilité de la promesse non tenue :

Voilà, une culpabilité très courante. Lorsque le diagnostic de perte d’autonomie ou de maladie neurodégénérative évolutive tombe, on promet à notre proche ce que nous parait faisable à ce moment précis. Exemple le plus courant : non, je ne te mettrais jamais en EHPAD.

Le souci c’est que l’on ne comprend pas toujours tous les enjeux que cela comporte : la vie familiale et professionnelle de l’aidant voir parfois médicale et les besoins spécifiques de votre proche à cet instant T, sans hélas ! Pouvoir être certain de ses besoins dans le temps.

Alors, oui, on change d’avis et on trahit notre promesse et la culpabilité nous tombe dessus. Pourtant, il suffit parfois de discuter et montrer concrètement à notre proche, tout ce que vous faites pour lui et qu’émotionnellement vous ne tenez plus le coup. Votre proche ne veut pas mettre votre santé en danger, il n’est pas conscient de toutes les petites choses qu’il vous demande. D’ailleurs, à l’impossible nul n’est tenu.

La culpabilité d’avoir honte de son proche 

Lorsque l’on est aidant, on peut être terrifié par les troubles du comportement de notre proche, car on a peur du jugement et parfois même c’est notre pudeur qui est atteinte. On choisit à regret de ne plus sortir avec notre proche, mais les gens jugent sans savoir. Cela ne signifie pas que vous êtes un mauvais aidant pour autant bien que le maintien social réduise le déclin cognitif.

Au quel cas, pensez différemment. Prenez des lieux moins fréquentés à certains horaires. Au restaurant, demandez une table intimiste. Vous pouvez aussi parfaitement demander de la finger food comme cela aucun jugement de votre proche.

La culpabilité d’aller bien

 

Face aux difficultés d’un proche, on peut se sentir coupable d’être soi-même bien-portant. Je me suis souvent dit lorsque j’étais jeune aidante et même après : pourquoi tu irais faire des choses plaisantes pour toi alors qu’eux ne peuvent pas le faire ? Du coup, je ne faisais rien, car j’avais mauvaise conscience.

Avant de me réorienter dans le médical, je ne racontais jamais non plus les trucs chouettes qui m’arrivaient à mes parents. Je culpabilisais en me disant qu’ils ne pouvaient plus vivre des événements heureux. C’est vrai que cela pouvait leur donner envie, mais penser à autre chose et voir que je vivais aussi pour moi, leur aurait fait du bien. J’ai mis des années à comprendre cela.

La culpabilité, un cercle vicieux. 

Lorsque l’on tombe dans la culpabilité à répétition cela impacte tout le monde qui cogite autour de vous. Vous risquez de devenir désagréable, voir agressif et vous continuer votre tour dans le manège coupable.

De plus, dans votre envie de toujours être plus parfait, vous allez vous retrouver faire des choses que vous ne pouvez plus contrôler ou pire prendre des risques et faire des choses auxquelles vous n’êtes pas formés. Et c’est sans compter le fait que vous allez devenir maltraitant sans le vouloir.

 

LES EFFETS NÉFASTES DE LA CULPABILITÉ

 

– L’usure morale : la culpabilité nous fait ruminer, tourner en rond mentalement, dépenser de l’énergie inutilement.

– L’autopunition : on peut en arriver à se priver de certains plaisirs, ou se flageller mentalement d’être une mauvaise personne.

– L’usure physique : la culpabilité contribue à notre épuisement, lorsqu’elle nous pousse à en faire toujours plus pour atténuer notre sentiment de faute

A chaque retour au commencement, la charge et l’épuisement sont de plus en plus importants.

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II- COMMENT SORTIR DU CERCLE VICIEUX DE LA CULPABILITÉ ?

Je vais être honnête tout de suite, je n’ai pas de recettes miracles. D’ailleurs, je fais partie des personnes qui sont extrêmement sévères envers elle-même et j’étais déjà comme cela bien avant de m’occuper de mes parents. Le seul moyen que j’ai trouvé me concernant c’est un travail sur moi-même et je dois le refaire régulièrement, car je râle sur moi-même régulièrement.

 

Franchement, quand vous réfléchissez concrètement à tout ce que vous faites pour votre proche, c’est déjà une charge colossale que vous supportez, alors culpabilisez ne sert à rien. Couchez-vous en vous disant que vous avez fait de votre mieux pour aujourd’hui.

 

Sinon, voici quelques raisons pour arrêter de vous sentir coupable

 

Raison N°1 : c’est très difficile de prendre soin d’une personne en perte d’autonomie. C’est un véritable travail, et on vous n’a rien demandé, cela vous est tombé dessus. C’est toute une organisation et des gestes techniques à acquérir, sans compter la gestion des émotions que cela soit les vôtres ou celles de votre proche.

 

Raison N°2 : un bon aidant est un aidant en bonne santé. Alors oui, sans aide extérieur, un jour on manque de sommeil, car on reste en super-vigilance. On s’interdit un sommeil réparateur et de qualité. Il ne faut pas. Si un jour vous ne vous sentez pas en forme pour aller voir votre proche et bien reporter. Cela ne signifie pas que vous l’aimez moins, mais qu’au contraire vous voulez pouvoir profiter au maximum de lui dans les meilleures conditions.

 

Raison N°3 : Un aidant stressé devient maltraitant plus facilement. Devoir gérer des emplois du temps multiples, plus votre boulot d’aidant sans compter tout ce que vous ne pouvez pas contrôler comme par exemple une mauvaise journée au bureau, une grève des transports, le petit rhume qui survient chez votre enfant, les sautes d’humeur de votre proche, il y a de quoi être stressé c’est parfaitement légitime.

Alors oui, n’hésitez pas à prendre du temps pour décompresser des professionnels ou des associations peuvent prendre le relais. Votre monde ne va pas s’écrouler parce que vous vous reposez.

 

Raison N°4 : On inverse les rôles. Faites preuve d’un peu d’imagination et imaginez des rôles inversés. Pensez-vous que vous accepteriez que votre proche s’inflige ce que vous supportez ? Accepteriez-vous qu’il mette sa vie entre parenthèse  et que son monde cogite uniquement autour de vous ?

 

Raison N°5 : Comprendre la cause. Vous avez craqué, vous vous en voulez. Je vous pose d’essayer autre chose à savoir comprendre pourquoi cela est arrivé.

 

Par exemple Pourquoi me suis-je énervé contre lui ?

 

Exemples de réponses :

parce que je suis épuisé

parce que j’ai besoin de vivre aussi ma propre vie

parce que je n’arrive pas à comprendre ses besoins.

 

Remarque : le but n’est pas de vous juger, mais d’accueillir vos émotions, sans critique.

 

Raison N°6 : On cherche les compromis pour satisfaire votre proche et aussi vous-même.

Le but va être de faire un réajustement entre votre besoin d’aider l’autre et votre besoin de repos. Voici une petite liste de questions pouvant vous aiguiller

 

De quoi mon proche a-t-il besoin ?

Suis-je la seule personne pouvant répondre à ce besoin ?

Que peut-il faire seul ?

Que puis-je confier à d’autres personnes (professionnels ou proches) ?

Puis-je l’aider d’une autre manière ?

 

Raison N°7 : Je ne suis pas tout seul. Il existe de nombreuses aides financières et humaines pour que l’aidant puisse déléguer certaines tâches à des professionnels. Si elles sont si nombreuses et variées, c’est parce que les professionnels savent à quel point le rôle d’aidant est intense souvent les professionnels ont été aidant de nombreuses années, c’est mon cas.

Vos souvenirs avec votre proche ne doivent pas devenir le souvenir d’années d’épuisement et de souffrance. Ce n’est pas parce que vous sollicitez du soutien que vous devenez moins respectable.

Alzy récapitule pour vous :

– Vous n’êtes pas coupable de ne pas pouvoir faire au-delà de votre mieux

– La culpabilité vous fragilise, et peut abîmer la relation avec votre proche

 

– Le sentiment de culpabilité est très courant. N’hésitez pas à échanger sur le sujet que cela soit avec un professionnel, une association, des amis ou d’autres membres de votre famille

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